Albert Lebourg, les diverses expositions de tableaux, catalogue de l’œuvre du peintre…

Albert Lebourg par Samuel Frère

Et cette jolie lettre où, parlant de détails purement professionnels, Lebourg se laissant entraîner par une tournure d’esprit toujours portée à élever et à agrandir le sujet, nous donne sur Constable une véritable page d’histoire de l’art…, cette jolie lettre, dis-je, se termine par ces quelques mots où il se met tout entier :

« Nous avons le même âge et aussi les mêmes opinions sur beaucoup de choses, nous sommes effrayés des mêmes idées folles qui s’élèvent de la terre, comme des nuées malsaines et empoisonnées, et l’art est notre refuge et notre joie ! »

Plus loin, après sa visite à une exposition de jeunes peintres, Lebourg résume ainsi ses impressions :

« J’ai revu toutes les salles attentivement. Il y a un progrès inouï dans la vision depuis l’époque où nous avons commencé à peindre. Ce progrès est dû à l’éducation mutuelle qui s’est faite de l’un à l’autre… un éclaircissement de la palette, l’abandon des couleurs ternes, la compréhension de peindre des effets de soleil sans se croire obligé de forcer les ombres… les ombres elles-mêmes très colorées… voici, ce me semble, ce qui se dégage le plus de toutes ces toiles de jeunes, et, comme je vous le disais, ce résultat me surprend quelque peu. J’en arrive à me dire souvent : « alors ce n’est pas si difficile que ça de bien voir ! » La multiplicité des jeunes peintres qui voient ainsi tendrait à le prouver et je m’effraie pour leur avenir ; à ce compte-là, je pense, cela deviendra très commun, les tableaux agréablement peints et d’une belle couleur ! Mais comment vivront ceux qu’on encourage dans la carrière ! Déjà, aujourd’hui, à Paris, à l’Exposition des Indépendants, les amateurs achètent pour 100 ou 200 francs, des tableaux ma foi fort bien venus. Quelle abondance de peintres ! Et, je crois, quelles misères !

« On ne se donne plus le temps de faire des études : à vingt ans, on vend ! Si l’on peut ! On ne fait pas non plus d’études de dessin, et l’on traite les vieux maîtres de vieilles bêtes. C’est le progrès.

« Et pourtant, il y a quelque chose d’un peu superficiel dans la peinture actuelle ! Quelque chose qui se voit vite et s’oublie de même… »

Oh ! Qu’il a raison notre collègue,… « Quelque chose qui se voit vite et, s’oublie de même », mot profond et d’une impeccable justesse. Le père Ingres avait dit dans le temps « les chefs-d’œuvre persuadent plus qu’ils ne frappent ». C’est la même idée.

Sans doute, un peintre impuissant pourra travailler deux ans de suite le même sujet sans y mettre quoi que ce soit. Mais pour peu qu’il ait quelque chose dans le ventre, ce n’est pas en vain qu’il cherchera sa toile, qu’il caressera son motif, qu’il le perfectionnera sans cesse, étant de ceux qui ne se contentent pas de la superficie. Et cette pénétration de la matière par l’esprit et la volonté constante, elle apparaîtra aux regards de l’observateur attentif. Il s’arrêtera longtemps devant le tableau, et alors il ne l’oubliera pas. Il trouvera à y réfléchir. ll se plaira à laisser entrer peu à peu en lui la succession d’impressions éprouvées par l’autre, à reconstituer à son usage la genèse de travail et de recherches de l’auteur.

Pour nous, Messieurs, cette réflexion est précieuse… « quelque-chose qui se voit vite et s’oublie de même ». Elle nous aide à préciser l’esthétique de Lebourg. Il est un des paysagistes contemporains qui se fait honneur de compter avec le travail, à l’heure où l’on ne tient plus compte que du tempérament et du coup de foudre de l’improvisation. Etudiez-le. Sous un aspect très libre, très large, très prime-sautier, quel labeur de peintre, quelles recherches préparatoires, quel scrupule de travail, quelle façon de monter sa toile peu à peu au niveau souhaité, sans la noyer dans la bagatelle, quel courage pour détruire si besoin est les détails inutiles, les encombrances mais aussi quelle jouissance, quel enseignement pour le spectateur, Oui, il restera longtemps devant le tableau celui-là, de sorte que, retournant l’aphorisme du maître, vous direz de lui : Lebourg fait des choses qui se voient lentement et ne s’oublient jamais.

« Il y a, je crois, une notion qui échappe à la génération des jeunes, écrit-il ensuite, c’est le Mystère… ce charme des maîtres venant, d’un grand amour de leur art, de l’enthousiasme du cœur et du beau milieu où vit le peintre : en disant cela, je pense à Corot, au Ville d’Avray du Musée de Rouen ; je pense à Daubigny, et aux beaux peintres de 1830. »

Par la même occasion, Lebourg pourrait penser à lui-même, car cet amour de son art et cet enthousiasme du cœur, ce sont ses propres vertus, bien que sa modestie l’amène trop souvent à se juger avec rigueur, et qu’il ne veuille pas entendre parler de sa supériorité. Il a même, dans l’intimité, une façon de se maltraiter lui-même qui ferait sourire, si le respect n’était dû à son imperturbable sincérité. Certains se rabaissent pour qu’on les élève ; lui, non, il est absolument convaincu de ce qu’il dit, il parle comme il pense et il écrit comme il parle ; nous en sommes quittes, nous, pour faire bonne justice de ses confessions sur « le mode pleureur », pour me servir d’une expression qui vient de lui.

Cependant, comme j’ai eu la prétention de vous montrer l’homme à côté du peintre, je veux emprunter à sa correspondance un dernier passage où il parle de lui sur mes instances.

« Et puisque vous parlerez de moi, ce n’est pas mauvais que vous connaissiez ce qui est au fond de moi-même. Les critiques traitent souvent les artistes en les couvrant de fleurs, en louant leur talent, et le lecteur de se dire : mon Dieu que cet artiste doit être un homme heureux ! — Eh bien ! Souvent, ça n’est pas ça du tout, cet artiste, c’est un homme qui n’a jamais été satisfait de lui-même,…. pas un seul instant ! Il y a pas mal de peintres dans mon cas, mais on ne crie pas ces choses-là sur les toits. Oui, je suis un mécontent, mais un mécontent de moi,… pas des autres !

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