Albert Lebourg, les diverses expositions de tableaux, catalogue de l’œuvre du peintre…

Albert Lebourg par Samuel Frère

Sa réputation s’étend peu à peu en province. Le Musée de Saint-Quentin acquiert son Ile-Lacroix, le Musée du Havre son Estacade du pont Sully. Il figure au Musée d’Evreux avec un Site Normand et, dans les salles de notre Académie, avec une Vue de la Ville prise des jardins Saint-Gervais, offerte par lui à la Compagnie, sous la présidence de M. Pauline, le jour de sa nomination comme membre correspondant.

Son talent s’élargit encore si possible pendant son séjour à Rotterdam, à Dordrecht, à Delft, à Ouvershi. Nous le saluons à l’Exposition universelle de 1900 où il obtient une médaille d’argent ; Lebourg y est représenté par trois tableaux : La Neige en Auvergne, Rouen vu des hauteurs, Lever de soleil sur la neige (environs de Paris). En même temps, nous revoyons ses études orientales au pavillon algérien. Quelques dates à retenir nous permettent enfin de terminer cette courte biographie : 1902, séjour au bord du lac de Genève d’où il rapporte les deux toiles ayant paru à l’Exposition de Rouen en 1906 ; 1903, exposition à Hanoï où il donne la Cote Sainte-Catherine, effet de neige, tableau acquis par l’Etat pour le Musée ; la même année, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur, récompense depuis longtemps méritée par cet artiste, devenu maître et chef d’Ecole ; 1910 consacre une fois de plus sa belle carrière ; Lebourg, dont le Musée de Rouen n’avait rien, y pénètre glorieusement, ainsi que nous le disions en commençant, de telle façon que ceux-là même qui n’auraient pas suivi la marche ascendante de sa renommée pourront désormais d’un seul coup d’œil apprendre ce que vaut le peintre et par quels mérites il est digne de son universelle réputation.

Les Lebourg de la collection Depeaux constituent une bien infime partie de tout ce qui est sorti de sa palette.

Je me reproche, Messieurs, de ne pas parcourir avec vous les collections particulières de MM. Gerbeau, François, Roux, Ephrussi, Joseph Reinach, Henri Vever, Lucien Sauphar, Tesseyre, où nous aurions à admirer bien d’autres pièces intéressantes signées de son nom ; mon ambition, ce soir, est moins étendue : je voudrais seulement m’arrêter dans cette salle du Musée de Rouen où, depuis le mois de novembre, sont réunis les treize tableaux de notre collègue, datées de toutes les époques depuis 1876 jusqu’en 1903, sans parler de la Neige en Auvergne sur laquelle j’ai dû insister en la rencontrant à sa date.

Une rue d’Alger (1876) nous donne un heureux spécimen des études faites à vingt-sept ans par notre artiste pendant son séjour en Afrique.

En rade de la Rochelle est une jolie marine très mouvementée où, sur des eaux plus claires que le ciel, courent à contre-jour des barques de toutes dimensions. A droite, grandes voiles s’enlevant sombres sur des nuées s’épaississant dans la direction de l’horizon. L’impression et la facture sont également franches. La mise en page est irréprochable, j’allais dire classique, et toutes les parties du tableau sont peintes en vue de l’effet général sans aucun sacrifice. Pas une fausse note dans cette harmonie simple, sobre et voulue ainsi.

Datée de 1888, la Rade de la Rochelle est un numéro intéressant en ce qu’il donne l’idée de la manière de Lebourg à ce moment, manière modifiée par la suite en usant d’un travail de touches plus divisées et plus colorées.

Lebourg, comme beaucoup de peintres, a, en effet, passé par une série de procédés obéissant à des règles différentes. Le contact de l’impressionnisme l’a amené à déserter les heures et les effets exigeant des repoussoirs exagérés ou l’opposition brusque du noir et du blanc. Le petit tableau de la collection Hédou, par exemple, appartient à cette classe. Il est d’un rendu énergique et traité en pochade, mais d’un faire un peu lourd et sans le moindre rapport avec ce que donne actuellement le peintre. On y sent plutôt l’influence de Daubigny pour lequel Lebourg a gardé un culte. Au surplus, qu’on ne s’y trompe pas ; en profitant plus tard des qualités de l’école Claude Monet, en lui empruntant certains de ses procédés, notamment la facture par touches vibrantes, et le souci de peindre clair dans les ombres, Lebourg n’a pas renié ses anciens modèles. Il en est resté, j’ose dire, pénétré d’une façon latente, comme un enfant subit sans le vouloir les conséquences de l’atavisme ; il leur doit le soin de la mise en page, de la belle tenue du sujet, de l’équilibre des plans, du respect de la perspective aérienne. En évoluant, il a donc assoupli sa première manière, il a simplifié de plus en plus les détails, mais il n’est jamais tombé dans les écarts troublants dont la jeune école est coutumière sous prétexte de vérité de vision. Le rapporteur des Assises de Caumont écrivait de lui : c’est un impressionniste soit, mais mâtiné de l’Ecole de 1830. Plus exactement, il pourrait se dire l’élève de Constable et de Turner, dont il se rapproche le plus à l’heure actuelle.

Avec l’Ile-Lacroix sous la neige (n° 15 du catalogue de la collection Depeaux), nous marquons un grand pas. Cette petite toile peinte en 1893 et conçue dans un autre esprit que la Rade de la Rochelle est le triomphe de l’enveloppe. La côte Sainte-Catherine, l’île, le Pré-aux-Loups, les berges sont baignés dans une même atmosphère brumeuse et estompée où, sans perdre leur forme précise, les plans s’étagent voilés les uns sur les autres par l’emploi d’une gamme de tons et de valeurs d’une finesse exquise, le tout merveilleusement d’accord avec le ciel gris, sous le pâle manteau duquel se développe le site. L’accent du tableau est ici une note lumineuse : le quai du premier plan à gauche.

Dans d’autres toiles, sa note d’accent sera vigoureuse ; quelle qu’elle soit, chez Lebourg, vous la trouverez toujours. C’est le coup d’archet qui fait parler tout l’orchestre. Otez ce je ne sais quoi, ce caillou de la rive, cette croupe de cheval, ce bonnet de vieille femme, ce pavillon flottant au haut du mât, et vous n’aurez plus rien. La note d’accent, c’est la pierre d’achoppement des débutants et d’un grand nombre d’artistes arrivés à l’heure angoissante où le tableau va être fini. Faute d’un point, Martin perdit son âne : histoire de l’accent faux ou de l’accent absent. Sur nature, il faut d’abord le découvrir, perdu dans le tas, le seul et unique, celui qui est ou n’est pas au coin du quai, et pas un autre, car deux accents se nuisent, deux accents sont la négation de l’accent. Une fois trouvé, on doit le rendre à son degré d’intensité et de coloration : autre problème. Enfin, s’il n’est pas dans la nature, mettez-le tout de même, et laissez dire les critiques grincheux.

Ses Bateaux à l’appontement de Dieppedalle, n°14 du catalogue Depeaux, sont de 1897. Le site vous est familier : à droite, les coteaux qui mènent à la forêt, par-dessus les frondaisons des jardins ; en face, le ponton ; à gauche, les chalands se profilant nettement à contre-jour sur des eaux claires reflétant le ciel d’un beau temps d’été à cinq heures. Est-ce là un coucher de soleil ? Pas précisément, mais tout l’annonce. Le motif ne se prêtait pas à une exécution pathétique : Lebourg l’a traité largement, sans brusquerie et sans mollesse, en tachant sa toile de lumières plutôt apaisées et d’ombres profondes sans lourdeurs. Etudiez ces ombres en elles-mêmes, vous y devinerez des demi-teintes, des incidences, des reflets, des nuances fondues à même le ton local et entrant dans sa substance. C’est du beau clair obscur. Si de là vous passez aux l’omis, vous jouissez comme d’un régal, de la façon dont le peintre a enlevé ses lignes d’horizon sur un ciel clair. C’est à la fus doux et fort.

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