Albert Lebourg, les diverses expositions de tableaux, catalogue de l’œuvre du peintre…

Les critiques

Les critiques et Albert Lebourg…

Les critiques et Albert Lebourg…

Enfin un grand artiste vint, Albert Lebourg, qui fut le peintre de La Bouille, surtout dans son large décor de ciel et d’eau. Par son vaste horizon, par le calme miroir d’eau du fleuve, reflétant les ciels changeants mouvementés, traversés de nuées légères et vaporeuses, La Bouille fut un thème facile, pour les féériques synthèses d’eau, de lumière et de couleur où se complait la vision.” - Georges Dubosc - Journal de Rouen

“Il est le peintre des ciels. Il peint un ciel où des nuages légers, transparents, se forment et se déforment, se fondent et se fragmentent. Il voit les vapeurs les plus fluides, tout ce qu’elles donnent d’éclat et de douceur aux choses” - Pierre Goujon - Gazette des Beaux-Arts

“C’est à Turner, magicien de la lumière comme lui, que font penser les tableaux de M Lebourg, qui associe la manière du maître anglais avec les enseignements des impressionnistes” - René Jean, La Gazette des Beaux-Arts - 1911

“Les tableaux de M Lebourg sont exquis de couleurs. Ils ne sont pas d’une solidité irréprochable, mais quelle féérie !” -

Henri Bidou - Gazette des Beaux-Arts - 1910 “Lebourg, se grisant éperdument de brumes opalines dans cette admirable vallée de la Seine dont il a si bien chanté la gloire noble et gracieuse” - Le Figaro - 14 aout - 1910

“Lebourg c’est un des plus beaux maîtres de l’impressionnisme, un des plus personnels aussi. Sisley est plus âpre dans sa recherche, Renoir plus sensuel et d’une touche plus grasse, Pissarro plus anecdotique et d’une vision plus brutale. Monet, seul peut-être, s’apparente à Lebourg, car Lebourg c’est la légèreté, c’est la nuance. Il semble que les brumes légères de la vallée de la Seine aient habitué dès l’enfance son œil aux subtilités d’une atmosphère fine, voilée délicate. Il en a suivi les rives aimées, guettant les nuages fragiles sur un ciel bleui, les brumes impalpables enveloppant les corps, les coques massives et pourtant légères des bateaux à quai … cela s’apparente à la délicatesse d’un Watteau…” - Pierre Wolf, Exposition municipale aux Beaux-Arts mai - 1921

“Depuis Rouen, l’excursion maintes fois faite et refaite, n’est autre que le classique voyage à La Bouille, avec ses arrêts obligés à Croisset, à Dieppedalle… L’artiste arrivait sur le terrain, préparait sa toile dans le ton en indiquant les valeurs par grandes masses, puis il précisait les détails du dessin et de l’effet, jusqu’à convertir l’ébauche en un ouvrage offrant les caractères absolus de la définitivité” - Roger Marx - Gazette des Beaux-Arts

“Albert Lebourg a pris une place considérable dans l’école impressionniste … il est arrivé à une notation très personnelle dont on ne peut se défendre de subir les charmes” - L’Eclair - 24 avril 1897


Extrait de la plaquette : « Normandie impressionniste » LA BOUILLE 2010

Itinéraire Impressionniste « Sur les pas d’Albert Lebourg ».

Roger Marx - Albert Lebourg

Albert Lebourg par Roger Marx

Albert Lebourg par Roger Marx (Critique d’art, inspecteur des musées départementaux)…

Article paru dans (La Gazette des Beaux-Arts) numéro de 1903-1904…

Roger Marx - (1859-1913) Critique d’art, écrivain

 
ARTISTES CONTEMPORAINS
ALBERT LEBOURG
(PREMIER ARTICLE)

A envelopper d’un regard l’œuvre d’Albert Lebourg, elle offre l’exemple d’un labeur de trente-cinq années accompli, selon la loi même de l’individualisme, dans la paix souriante et recueillie que dispense l’accord parfait de l’être avec sa nature. Seule l’analyse de l’idiosyncrasie saura découvrir la règle et le sens de la production, et telle a été l’emprise du tempérament que l’art semble se dérober cette fois au jeu des contingences. Un premier point demeure acquis : l’atavisme n’a aucune part dans la formation du talent ; chez les ascendants de Lebourg, autour de lui, nul éveil du sentiment esthétique ; sa famille a pu compter des littérateurs, — les Gueullette, — mais des artistes non pas ; on retiendra au passage que, en qualité de greffier de la justice de paix de Montfort-sur¬Risle, son père dispersa, sans y prendre garde, quantité des richesses somptuaires encore amassées, vers le milieu du dernier siècle, au fond des vieilles cités normandes.
Quand Albert Lebourg quitte, à seize ans, Évreux et son lycée, sur l’indice de dispositions certaines on le destine un moment à l’architecture et une heureuse fortune le conduit, à Rouen, chez Alexis Drouin, collectionneur et archéologue ; au même instant (1866), il se fait admettre à l’École des Beaux-Arts de la ville et s’y rompt à l’écriture des formes. Selon la pédagogie de l’époque, on le voit passer de la copie docile des cahiers lithographiés de Hubert et de Calame à l’étude d’après la bosse et le modèle ; ces exercices classiques sont bientôt suivis de dessins de nature morte, conçus dans le goût de certains fusains de François Bonvin : ils reproduisent d’humbles objets ménagers, aperçus dans la pénombre d’un jour de buanderie ou de cave, et groupés avec un charme d’intimité qu’émeut l’antique croyance à la mélancolie secrète des choses.
Dès les pérégrinations au dehors et les premiers essais de paysage sur nature (1869), le débutant lucide s’alarme des contradictions entre le spectacle de ses yeux et les principes de notation familiers à sa main. On lui a enseigné à regarder par le détail et non par l’ensemble ; il ignore que la lumière seule modèle les corps et définit leurs contours dans l’espace ; ses procédés d’expression lui paraissent insuffisants, enfantins ou grossiers. Les cartons de Lebourg — véritables archives de sa vie, tenues à jour avec la sincérité d’un Liber veritatis, — révèlent ces incertitudes initiales ; ils portent témoignage du conflit entre les leçons de l’école et les impulsions de l’instinct, et l’on y peut épier, à travers l’émancipation progressive du métier, l’essor d’une personnalité qui, peu à peu, se dégage.
En ces années lointaines où il se prépare à son œuvre véritable, Albert.Lebourg apparaît déjà le dessinateur acharné qu’il demeurera le long. de sa carrière. Qu’on le suive à Rouen, ou bien au village natal de Montfort, c’est sa passion de couvrir des feuilles, le jour et la nuit même, à l’aide du fusain, de la plume, du crayon, de la pierre noire, et, plus souvent que la fantaisie ou le souvenir, c’est la nature qui l’inspire. La capitale de la Normandie, avec ses horizons contrastés, ses monuments et son port uniques, ne pouvait manquer de fortifier l’amour inné du pittoresque ; la moindre bâtisse — chaumine, moulin ou vanne — devient pour Lebourg un « sujet » qu’il saura douer d’attraits. D’autre part, sa dévotion aux reliques du passé est fervente : une fenêtre gothique l’intéresse au point de la reproduire ; il s’attarde, le soir, parmi les vieux quartiers et, plus d’une fois, il se prend à évoquer l’aspect fantastique des venelles étroites et enténébrées où le réverbère vétuste épand ses clartés tremblotantes et falotes. Sous ce rapport, les préférences foncières s’accordent avec les exemples fournis par un dessinateur rouennais d’un mérite hors du commun, Victor Delamarre. Cependant, si l’on souhaite établir le décompte des suggestions profitables, il faut surtout faire état des conseils que Lebourg demanda aux tableaux du musée. Ruysdael et van Goyen surent longuement le captiver ; sa sympathie n’alla pas moins active aux maîtres contemporains que lui avaient mal révélés quelques visites au Luxembourg, lors de rares voyages à Paris. C’était le moment, d’ailleurs, où la galerie publique de Rouen devait à l’administration indépendante de Gustave Morin nombre d’initiatives heureuses et une « digne représentation de l’art moderne (1) ». Dans l’intervalle de quelques années, le Crépuscule â Trinquetaille et le Stamboul de Ziem, les Étangs de Ville-d’Avray de Corot, les Bords de l’Oise de Daubigny, étaient venus enrichir les collections municipales. N’y avait-il pas là de quoi offrir un ample thème à la méditation d’un artiste avide de s’informer ? De fait, les plus anciennes peintures de Lebourg paraissent unir et résumer la manière des trois éducateurs qu’il s’est librement choisis ; mais, ici encore, il ne fait que se retrouver chez autrui ; il n’écoute que les avertissements propres à l’édifier sur lui-même et à favoriser l’éclosion des dons natifs. Si les premières vues de Rouen

(1). Gustave Morin et son, œuvre, par Jules Hédou. Rouen, 1871, p. III. — On doit également à M. Hédou un intéressant travail sur Victor Delamarre, publié dans la Revue de Normandie (juillet 1868).

(A suivre prochainement)

Samuel Frère - Albert Lebourg

Albert Lebourg par Samuel Frère

Comprise ainsi, la pochade n’est pas seulement le moyen de fixer un souvenir, sa portée est beaucoup plus grande : elle aide à faire le tableau sur place et à donner à cette toile étudiée l’aspect d’une chose vivante, prise sur le vif, sans tâtonnements. M’excuserez-vous, Messieurs, si après avoir essayé la biographie de notre collègue et m’être arrêté devant ses traits, je me laisse ainsi aller à vous parler de ses idées en peinture. Nous le connaîtrons mieux pourtant quand nous aurons pénétré ses principes techniques. Peu d’hommes ont plus travaillé, peu ont plus réfléchi sur son art. Lebourg ne peint pas au hasard : il a toujours une raison de peindre comme il peint : quand il parle ou quand il écrit, on retrouve l’artiste constamment préoccupé des meilleures règles à suivre pour exprimer idéalement ce qu’il voit ; quelqu’un qui recueillerait ces préceptes composerait un véritable code du paysagiste. Permettez-moi donc de détacher, au hasard d’une correspondance qui m’est chère, des passages dont les jeunes peintres et même les vieux pourraient tirer profit :

« La vibration de la couleur, dit-il, vient beaucoup de la nature des surfaces sur lesquelles on peint, et il est des conséquences physiques auxquelles il faut réfléchir. Voici, par exemple, une expérience à tenter : préparez plusieurs surfaces, l’une en blanc pur, l’autre en noir, la troisième en gris ; une fois ces surfaces bien sèches, prenez un rouge transparent et passez-le sur ces préparations différentes. Je doute qu’au bout d’un certain temps ce rouge conserve la même teinte sur les trois préparations. Le rouge passé sur le blanc pur aura un éclat beaucoup plus grand et vibrera davantage. Multipliez ces expériences avec des couleurs différentes et sur des fonds différents, vous obtiendrez des constatations utiles.

« Pourquoi lutter avec l’impossible ? Il faut compter sur l’absorption par les couches du dessous de la couleur posée la dernière. Dans un tableau bien travaillé, le dessous joue un rôle considérable : le dessous est l’avenir du tableau. » Le dessous est l’avenir du tableau ! Comment mieux dire et comme l’œuvre de Lebourg est tout entière résumée dans ces six mots. C’est une recherche à laquelle s’adonnent surtout les professionnels, essayez-la, Messieurs, pour une fois : sur les toiles de la salle Depeaux, ingéniez-vous à découvrir, de ci, de là, sous le ton définitif, les traces plus ou moins fugitives des préparations primitives ; vous ferez, je vous le jure, d’intéressantes découvertes. Et le chapitre des couleurs ! Celles qu’il faut garder, celles qu’il faut proscrire. Ecoutez ces précieux conseils :

« Il y a des couleurs à bannir de votre palette, telles la terre d’ombre qui détruit les couleurs avec lesquelles on les mélange. Les couleurs terreuses, en général, ne valent pas grand-chose… Je ne veux pas dire toutes les terres, ni tous les bruns… Il y a, par exemple, la terre de Sienne brûlée, qui est merveilleuse, surtout dans les lumières. Le brun rouge est superbe. En revanche, le brun Vandyck est bien médiocre ; la terre de Cassel, jolie, quand on vient de l’employer, ternit en vieillissant… Et les momies ! Et le bitume !… Ce sont des couleurs criminelles ! Et le vert Véronèse ! Ah ! A celui-là, il faut donner la palme du crime : séduisant, étincelant, pierre précieuse quand il est frais ! — mélangez- le avec d’autres : il noircit aussitôt.

« L’Ecole de 1830 a perdu la conservation de ses tableaux en usant de toutes les couleurs sans les connaître et sans les contrôler. Delacroix, lui-même, employait n’importe laquelle, aussi beaucoup de ses tableaux ont noirci. Mais aujourd’hui on a mieux étudié la question et on connaît la chimie des couleurs qui permet de choisir les bonnes et d’éliminer les néfastes… Cette partie matérielle est on ne plus importante à considérer. »

Après la partie matérielle, il aborde la question de savoir quelle est pour le paysagiste la meilleure méthode de travail. Deux systèmes peuvent, être proposés : 1° la peinture à l’atelier d’après des pochades, des études et la mémoire qui est, aujourd’hui, dans l’enseignement des arts, un facteur des plus vantés ; 2° la peinture directe et exclusivement sur la nature.

« Il y a, dit Lebourg, dans le choix de ces deux méthodes, affaire de tempérament, d’éducation primitive et d’habitudes prises. Je crois qu’il serait bon de travailler alternativement avec ces deux méthodes et selon aussi ce que l’on veut faire.

« Tel effet ne peut absolument se peindre sur une toile un peu grande que d’après une notation en petit et le souvenir. Tel autre effet peut se représenter sensiblement le même tous les jours, à la même heure et avec le même temps (un temps très clair, par exemple, ou un temps gris uniforme), alors je ne vois pas pourquoi l’on n’essaierait pas l’étude attentive et patiente d’après la nature où l’on est toujours guidé par des formes, des accents, des ombres et, des lumières.

« Je crois que de grands maîtres, tels que Constable, ont suivi l’une et l’autre méthode, Corot aussi quelquefois, Daubigny et Paul Huet ont procédé de même. Quelquefois ils ébauchaient leurs grandes toiles d’après nature, ce qui leur donnait une ébauche plus ferme, mieux mise en page et dessinée plus grandement.

« Peut-être suivre l’un des systèmes en abandonnant l’autre entièrement conduirait-il à un résultat plutôt mauvais.

« L’écueil du travail dans l’atelier, c’est de mener le peintre à un style uniforme, du moins pour beaucoup, mettons presque pour tout le monde, à part quelques très grands peintres, Constable, par exemple, qui, par ses tableaux de la National Gallery, nous montre qu’il savait faire complètement un tableau de paysage dans l’atelier, tout en lui donnant une vie intense.

« Ce Constable est un grand génie, toujours si émotionnant, même dans ses plus petites notations d’ensemble d’après nature, ce qui paraît avoir été l’une de ses constantes préoccupations : saisir un aspect de nature avec son ciel, par quelques rapides coups de pinceau, cela lui semblait sans doute un exercice indispensable, de même que l’harmonie du ciel pour les terrains. Connaissez-vous un peintre plus paysagiste ? Car on peut être peintre de paysages sans être paysagiste, il n’en manque pas. Quel homme complet ! Lorsque, vers 1824, continue Lebourg, il envoya en France de ses premiers tableaux, ce fut une révélation. Delacroix lui-même en fut ébloui, au point qu’après les avoir vus, de s’être mis à remonter le ton de son magnifique tableau du Massacre de Seio. . . Et Géricault aussi en fut tout étourdi. Ces tableaux devaient avoir alors un éclat sans pareil, une couleur merveilleuse. Je soupçonne qu’ils ont pu s’enfumer depuis ; à cette époque on employait des bruns funestes pour les ouvrages du temps. Cela avait moins d’importance pour les esquisses faites du coup, et qui, pour cela, changèrent moins ; elles arrivèrent même jusqu’à nous avec une fraîcheur plus grande que les tableaux faits ».

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